La douleur en proctologie
L'interrogatoire
Il précise les caractères de la douleur à type de brûlures, de crampes, de pesanteur, les circonstances d’apparitions, les modalités évolutives et les signes associés : troubles de transit ou urinaires, fièvre, altération de l’état général, troubles psychiques et surtout la rectorragie qui par son existence en soi, constitue souvent la sonnette d’alarme essentielle.
1.Les douleurs d’installation brusque
La douleur d’apparition brutale, d’emblée maximum et la perception d’une tuméfaction marginale évoquent une thrombose : thrombose hémorroïdaire externe isolée avec ou sans oedème ou prolapsus hémorroïdaire étranglé ou thrombose du prolapsus appelée communément «étranglement hémorroïdaire». La douleur d’installation brutale mais souvent nocturne, violente, de topographie rectale, durant quelques minutes et cédant spontanément, fait penser à la proctalgie fugace qui fait partie du syndrome d’»algie rebelle».
2.Les douleurs d’apparition progressive
Le sydrome fissuraire : La douleur évolue en trois temps et à chaque selle. Sensation de déchirure anale au passage des matières qui disparaît, puis reparait progressivement aprés un intervalle libre de quelques minutes sous forme de crampes anale violente de durée variable pouvant aller jusqu’à plusieurs heures : c’est la douleur retardée qui signe fissure.
Le syndrome de collection suppurée : La douleur s’installe progressivement pour devenir violente, insomniante, permanente (diurne et nocturne) et parfois pulsatile à la toux et à l’effort (excellent signe). Elle s’associe de façon de façon inconstante à une altération de l’état général avec ou sans fièvre.
La douleur maladie ou algie ano-rectale rebelle : Il s’agit là d’un ensemble de manifestations douloureuses à la fois somatiques et psychiques ne pouvant être rapportées à aucune affection proctologique présente ou du moins actuellement décelable. Cette définition n’exclue pas la coexistence possible d’une lésion locale ano-rectale ou régionale de voisinage également douloureuse, d’où la difficulté fréquente d’interprétation de la symptomatologie.
On distingue plusieurs tableaux cliniques à types de coccyalgies, de névralgies ano-rectales, voire de psychalgies qui peuvent exister isolément ou en association. Un syndrome douloureux commun est constant chez nous les patients à prédominance féminine ; il se caractérise par un horaire capricieux, indépendant de la selle, avec souvent des irradiations aux organes génitaux externes, aux cuisses, aux lombes.
Si le diagnostique peut déjà être orienté par un bon interrogatoire, l’interprétation des réponses, très variables d’un malade à l’autre, apparaît parfois difficile.
L'examen clinique
Il établit le diagnostique évoqué par l’interrogatoire et permet souvent de préciser l’attitude thérapeutique qui apportera la cédation.
1. Les douleurs externes : anales et marginales
La thrombose hémorroïdaire externe sous forme d’une ou plusieurs tuméfactions bleutées, soulevant la peau de la marge, exquisément sensibles ou véritablement douloureuses.
La thrombose hémorroïdaire oedémateuse : caractérisée par l’existence de multiples thrombi enchâssés dans une muqueuse oedématiée. Elle peut être localisée à un cadran et dans certaines formes, intéresser l’ensemble de la marge anale.
La thrombose du prolapsus, encore appelée, prolapsus hémorroïdaire étranglé ou étranglement hémorroïdaire : il s’agit là de la thrombose d’une hémorroïde interne prolabée devenue irréductible en raison de l’oedème. La douleur dans cette forme clinique est atroce. C’est l’urgence type.
La fissure : Elle se manifeste par une ulcération ovalaire en «raquette» avec une grosse extrémité externe et un manche interne s’effilant dans le canal anal sans atteindre la ligne pectinée. Le plus souvent, elle est unique et commissurale, postérieure, parfois antérieure et alors plus fréquemment chez la femme, très rarement latérale ou double. Tous les aspects sont possible de la forme jeune à bords nets et fins à la fissure vieille, à bords décollés, où les éléments parafissuraires (marisques, papilles) sont présents.
L’examen est parfois très difficile, le toucher ano-rectal impossible du fait de la contracture anale plus ou moins importante et parfois seulement perceptible lorsque l’on tente de déplisser l’anus. Seule une anesthésie sphinctérienne peut alors faire lever le spasme et permettra l’examen en amont.
Il faut se méfier des formes latérales ou indolores. On doit alors rechercher l’étiologie vénérienne ou inflammatoire et surtout évoquer le cancer anal à forme fissuraire. Dans tous les cas, on pensera aussi à une origine iatrogène toujours possible notamment traumatique.
L’abcès anal marginal : Il est généralement évident : tuméfaction péri-anale, rouge et chaude, exquisément douloureuse et infiltrant la fosse ischio-anale. La douleur est due à la mise en tension des espaces péri-anaux par la collection suppurée. L’orientation du malade vers la chirurgie doit etre rapide et précoce sans attendre la fluctuation et la fistulisation.
Les collections suppurées extra-anales : Sinus pilonidal, Hidrosadénite suppurée, Maladie de Crohn, Gangrène gazeuse.
Les lésions dermatologiques variées : Eczéma anal suintant, surinfecté qu’il soit lié ou non à l’action de thérapeutique locale associée à des lésions de grattage, Mycoses, Herpès périnal, Zona.
2. Les douleurs canalaires
L’abcès intra-canalaire : Le contexte fonctionnel est identique à celui de l’abcès marginal avec une rétention urinaire associée fréquente. L’examen note souvent une béance anale et le toucher ano-rectal perçoit une voussure indurée, remontant plus au moins haut dans le canal anal et dans le rectum. L’anuscopie montre une saillie muqueuse qu’il ne pas confondre avec la thrombose hémorroïdaire interne ou avec une formation tumorale. Le doute est levé lorsque ces manoeuvres provoquent l’ouverture de l’abcès, libérant un flot de pus qui soulage totalement le patient.
La thrombose hémorroïfaire interne : L’examen de la marge anale est normal. Le toucher perçoit une masse saillante et sensible. L’anuscopie confirme le diagnostique montrant une saillie sombre et bleuâtre.
L’anus rouge congestif : Il est à l’origine de douleurs canalaires plus ou moins rythmées par les selles. La muqueuse est hypervascularisée, rouge, oedématiée. Une cryptite et/ou une papille sont souvent associées.
Le fécalome : Il survient le plus souvent chez des personnes âgées, alitées. L’examen montre un anus atone et béant. Le diagnostic est évident au toucher rectal : le rectum est rempli de selles très dures. Une forme clinique est représentée par le bariolythe qui peut survenir dans les suites d’un examen radiologique (transit oeso-gastro-duodénal, transit du grêle, lavement baryté).
Le cancer anal : La douleur est variable, peu évocatrice mais la situation facilement visible et perceptible de ces cancers permet facilement le diagnostic qu’il s’agisse d’une forme classique (ulcération, végétation indurée), ou trompeuse (forme fissuraire, condylomateuse, inflammatoire...)
3. Les douleurs rectales
Les formations tumorales : Elles sont l’arrière-pensée permanente devant tout signe d’appel rectal (faux besoins, émission glairo-sanglantes...). Les douleurs sont variables, parfois associées à des douleurs de topographie plus basse et correspondent alors à un envahissement des structures périrectales.
Le diagnostic et l’attitude thérapeutique reposent sur la rectoscopie de la rectosigmoïdoscopie.
Les lésions inflammatoires : Toutes la pathologie inflammatoire (Maladie de Crohn, recto-colite hémorragique, etc.) ou infectieuse du rectum peut donner lieu à des douleurs. Là encore, l’attitude diagnostique et thérapeutique fait appel à l’endoscopie, l’histologie et aux prélèvements bactériologiques.
Ce qu’il faut retenir : lorsque chez un malade qui souffre, le bilan clinique loco-régional est négatif, le syndrome «d’algies ano-rectales rebelles» doit être évoqué en sachant toutefois qu’une lésion organique peut toujours évoluer à bas bruit, notamment un abcès profond, et faire redresser le diagnostic.
Conclusion
L'interprétation de la douleur en Proctologie est capital.
Très souvent, lorsqu’elle est en rapport avec une lésion bénigne, elle cède à un traitement général et local associé parfois à un geste simple et ambulatoire.
Lorsqu’elle est chronique, de type névralgique, elle implique toujours un bilan proctologique complet pour ne pas méconnaître une lésion organique responsable et justifie une thérapeutique prudente et douce, stictement médicale, essentiellement antalgique.
En cas d’urgence douloureuse aiguë, il importe enfin de ne retarder un acte chirurgical salvateur.